Une femme et un vélo, une alchimie unique en Iran
– Portrait d’une cyclo-guide Iranienne, Ensieh, 35 ans –
MAI 2017 | PORTRAITS INSPIRANTS, IRAN
MAI 2017 | PORTRAITS INSPIRANTS, IRAN
Je m’appelle Ensieh, je suis née à Hamadan, dans l’ouest de l’Iran, dans la chaîne montagneuse du Zagros. J’ai déménagé à Téhéran il y a 2 ans pour le travail. Maintenant je suis éco-guide à vélo et avant j’étais institutrice dans une école primaire.
J’ai voyagé à vélo pendant 5 ans avant de devenir éco-guide car c’était mon souhait le plus cher. C’est si agréable et excitant, quand, par exemple, je monte tout en haut de la montagne pour m’exercer, puis je descends à fond. C’est un réel divertissement !
J’ai un couple d’amis qui voyage en vélo et un jour nous avons voyagé ensemble près d’Hamadan. Au début j’avais un très vieux vélo, mais je l’ai fait, pour la 1ère fois en une journée j’ai voyagé durant 80 km.
Et après cela, mon 1er « vrai » voyage en vélo a été avec 2 suisses. Je les ai rencontrés à Hamadan et invités à la maison. Après 4 jours passés avec eux, j’ai réalisé qu’ils cherchaient une carte, ils parlaient des routes à prendre durant leur périple. Soudain je me suis dit : « OK, Ensieh, c’est vraiment le bon moment pour y aller et je leur ai dit : « Hey guys, j’ai une idée, êtes-vous d’accord que je vous accompagne ?! » et ils m’ont répondu : « humm, ok, allons-y !! et en plus tu pourras nous aider pour la traduction 😉 » Ils étaient très sympas, et depuis nous sommes restés amis, cela fait 5 ans… J’ai d’ailleurs vu un des deux la semaine dernière ! Je suis restée avec eux durant 10 jours, et ça a été une excellente expérience pour moi parce qu’ils étaient professionnels et pour la 1ère fois, j’ai appris beaucoup au sujet du voyage à vélo. Nous avons voyagé entre Takestan et Tonekabon, au bord de la mer Caspienne. Pour ce 1er trip, ça a été très difficile, nous sommes montés à plus de 2 000 mètres d’altitude et quelques parties des routes étaient boueuses et sales, donc glissantes, mais peu importe je l’ai fait ! Parce que je voulais faire ça à vélo et je voulais voyager…
Ce qui m’a motivé au départ, c’est le feeling quand je monte à vélo, ça me libère de tout, il n’y a rien qui me dérange, comme le moteur des voitures, ou des motos, ça n’a aucun son. Quand je traverse le désert, c’est totalement le silence, j’entends juste le vent et la chaîne du vélo. Le vélo n’est pas si lent, comme la marche par exemple et n’est pas aussi rapide qu’une voiture. Il a un rythme intermédiaire qui permet d’entrer en contact plus facilement avec les gens et profiter pleinement de la nature. Tu as le temps de t’arrêter exactement où tu veux, ça prend juste l’énergie de tes muscles. Je me sens complètement en communion avec la nature avec ce type de voyage, rien n’est entre moi et la nature, il n’y a pas de limites, pas de frontières entre moi et la nature.
Hamadan est une ville traditionnelle, avec peu de cyclistes, il y en a mais pas beaucoup. C’est seulement le vendredi (en Iran, c’est leur jour saint, comme nous le dimanche) qu’ils sortent dehors. Mais moi j’allais à l’école tous les jours en vélo et après une semaine j’ai réalisé que quelques enfants de mon école venaient aussi en vélo ! C’était vraiment beau et motivant de voir cela : « Vous, maîtresse, vous venez en vélo donc moi aussi je veux venir en vélo à l’école ! ». Et le principal leur a laissé la permission de venir en vélo.
Donc au début je voyageais avec mes amis puis après j’ai pris assez confiance. Être sur la route demande beaucoup de confiance en soi par rapport à la ville que tu connais, c’était plus facile pour moi de monter à vélo dans ma ville. Sur la route j’avais un peu peur mais quand j’ai pris confiance j’ai commencé à voyager seule parce que je voulais vraiment voyager seule. La 1ère fois a été l’année dernière, en 2016, je suis allée depuis Ardabil jusqu’à Rasht, près de la mer Caspienne, ça a duré une semaine.
Puis pendant une semaine je suis allée sur l’île de Qeshm, l’île de Hengam et l’île d’Hormuz dans le golfe Persique.
J’ai eu beaucoup beaucoup de moments difficiles, parfois j’entendais des choses vraiment très mauvaises de la part des hommes dans la rue et parfois quand je rentrais à la maison, je pleurais. C’est très dur de tolérer cela, mais quelque-chose à l’intérieur de moi, ma passion me disaient de monter à vélo, et de continuer. Je travaille sur la situation des femmes en Iran. C’est très important pour moi d’améliorer et promouvoir le droit des femmes, et c’est un des moyens par lequel j’agis finalement. Nous avons un parc spécial que nous appelons le « Parc des femmes » où uniquement dans ce parc les femmes ont le droit de circuler à vélo. Ce n’est pas juste, nous aussi nous voulons aller dans la rue, faire du shopping à vélo, partout nous souhaitons aller. Ce n’est pas juste de monter à vélo uniquement dans les limites d’un parc !
Je suis guide culturel et cyclo-guide pour une agence qui propose des voyages à vélo. La semaine dernière, j’ai fait un tour depuis Shirâz, puis Yazd, Isfahan et enfin Téhéran, et quelques parties de ce trajet, nous l’avons fait à vélo. Il y avait 9 personnes venues d’Angleterre, d’Australie, et d’Irlande. C’est le seul tour à vélo que nous avons pour le moment mais l’agence me demande de proposer de nouveaux voyages.
Quelles sont les réactions/opinions des gens quand ils te croisent sur la route à vélo ? Quelle est la vision des Iraniens au sujet du cyclisme ?
Au début ils pensent que je suis étrangère et ils me parlent en anglais : « Hello, where are you from ? » car j’ai mes lunettes de soleil, et mon bandenas, donc ils sont loin d’imaginer que je suis une Iranienne qui voyage seule et en plus à vélo. Ils sont accueillants, vraiment. Si tu vas dans un magasin et que tu demandes un verre d’eau, ils vont te ramener quelque chose de mieux que de l’eau, comme par exemple un Khiyar sekanjebin (eau vinaigrée sucrée aux concombres) et ils vont te donner de la nourriture, c’est leur réaction. Je pense que tout le monde respecte les gens sportifs, les gens qui respectent la nature.
Nous devons faire attention à nos vêtements, couvrir notre décolleté, notre tête pour respecter leur croyance, surtout dans les villages. Nous ne voulons pas déranger les croyances de notre société, nous voulons juste voyager, avoir de bonnes interactions avec les gens, ne pas avoir un impact négatif. Même les gens qui ont un tchador ne te regardent pas comme étant une mauvaise personne, ça arrive, mais cela est très rare.
Il n’est pas interdit qu’une femme monte à vélo en Iran, c’est interdit dans l’esprit des gens en fait, et non pas par la loi, il n’y a pas de Fatwa pour cela. C’est pourquoi nous devons faire de cela une généralité. C’est une limitation dans leur esprit. Il y a 12 ou 15 ans, oui cela était vraiment très étrange qu’une femme conduise une voiture et maintenant c’est accepté.
S’il y a un problème technique sur ton vélo, sais-tu comment t’en sortir ?
Ce n’est pas facile mais j’essaie d’apprendre de plus en plus parce le système d’un vélo n’est pas compliqué ; je peux apprendre et je peux le faire parce que j’aime travailler avec des outils, et ça augmente ma confiance en moi si je suis capable de réparer quelque chose sur mon vélo. Je dois être capable de réparer mon vélo, si j’ai une roue crevée, je dois la réparer ! Je ne peux pas attendre et demander à quelqu’un : « Oh venez s’il vous plaît m’aider ! Ce n’est pas une bonne idée ».
Quelle est ta plus grosse peur en voyage ?
Rien de spécial parce que je n’ai pas peur des chiens par exemple ! Parfois ils viennent et courent après moi mais j’essaie de rouler plus vite qu’eux. Mais quand je rentre dans les villages, il y a des personnes en mobylette qui me dérangent, et peut-être dérangent d’autres filles d’ailleurs, ils viennent et te posent des questions, ce n’est pas bien de dire cela mais ils essaient de te toucher car tu es quelque chose d’étrange pour eux et c’est arrivé pendant mon tour et je leur ai dit de s’en aller. Ils pensent tout de suite à quelque de mal, ils se disent que si cette femme monte à vélo, donc elle peut m’offrir autre chose.
J’ai surtout peur des moto-cyclistes et des voitures qui vont très vite. Parfois je sens la pression de l’air quand elles passent. Rien de plus car quand il pleut par exemple, tu peux mettre un vêtement imperméable. Par exemple au Balouchistan, nous avons roulé sous une tempête de sable, c’était vraiment bien et impressionnant, tu ne peux pas voir autour de toi car ce n’est que du sable autour de toi.
Est-ce sûr de voyager en vélo en Iran ? Surtout pour une femme seule ?
Oui c’est sûr, mais certains touristes ont eu de mauvaises expériences, comme tous les pays finalement.
Il y a des règles de bonnes conduites à adopter comme être vigilant pour ses affaires par exemple et ne pas partir aux toilettes ou acheter quelque chose en laissant toutes ses affaires.
Mais la réaction des gens est globalement positives, les personnes me disent bonjour de la main.
Je pense que tu dois faire attention à toi et tes affaires partout dans le monde quand tu voyages, en Iran c’est la même chose. Si tu montres que tu es quelqu’un d’ordinaire, les locaux t’accepteront et t’accueilleront ! Ils ont besoin de se sentir en sécurité tout autant que le voyageur.
A quelles difficultés dois-tu faire face quand tu voyages en Iran ? Et comment y fais-tu face ?
Les voitures et le fait de ne pas trouver d’endroits parfois où mettre ma tente, pas assez de toilettes, ou pas de toilettes propres, mais dans la nature nous n’avons pas de problèmes en particulier.
En 5 ans de vélo, pas un seul policier ne m’a arrêté. Au contraire, ils me saluent, m’encouragent et me souhaitent un voyage en toute sécurité.
Au Balouchistan, une voiture de police nous a demandé s’il était sûr de voyager au Sistan-Balouchistan et je leur ai dit : oui, super, merci !!
Quels sont tes conseils ?
Iran est un pays sauvage, on peut voir différents types de nature : déserts, montagnes, bords de mer donc ça dépend de la saison, de toi, et ton intérêt. Mais moi je préfère la montagne ! C’est un beau cadeau d’aller tout en haut de la montagne puis de descendre, tu dois t’assurer que les freins fonctionnent bien car en plus je suis chargée ce qui augmente ma vitesse en descente !
Biensûr, je conseille de pas rouler après la nuit tombée, ce n’est pas sûr, il faut prévoir de rejoindre un village et monter la tente avant la tombée de la nuit.
D’après ton expérience, quels conseils peux-tu donner à des femmes qui auraient envie de voyager en vélo en Iran ? Quels vêtements porter ?
C’est mieux, je pense, d’avoir une expérience précédente, en Europe, en Russie, et après de venir en Iran. Nous avons une Russe ou une Française qui est venue voyager pour la 1ère fois en vélo et pour la 1ère fois en Iran et elle n’était pas très expérimentée. Par exemple, nous connaissons les dates des fêtes religieuses, comment se comporter, …mais pour elle c’était différent, mais c’est aussi un bon challenge.
C’est sûr mais il faut juste être vigilant sur son comportement par rapport à la situation présente, et se renseigner sur les us et coutumes avant de venir en Iran pour y voyager de façon plus confortable.
Mais aussi tout le monde sait que tu es touriste et que tu ne connais pas par cœur la culture donc il te respecte, ils ne te diront jamais quelque chose de mal et ne te dérangeront pas, mais je pense que c’est bien d’avoir un minimum d’expérience dans d’autres pays avant.
C’est comme du backpacking, c’est un voyage challengeant.
En ce qui concerne les vêtements, je porte des longs vêtements confortables (et légers en été), pantalons, et j’attache un bandenas qui couvre mes cheveux, puis mets une casquette.
Comment est le voyage en Iran à vélo ? Y-a-t-il des infrastructures dédiées aux cyclistes ?
Nous n’avons pas d’infrastructures spéciales, ni de routes spécialement aménagées pour les cyclistes en Iran, parce qu’ici on ne se préoccupe que des voitures malheureusement… et mon slogan est « J’ai le droit d’être sur la route comme toi, ne me klaxonne pas ! » Les voitures klaxonnent et les conducteurs disent « va-en, bouge de mon chemin, c’est ma route, ce n’est pas ta route. » Je suis cycliste et je dois être sur la route donc c’est mon droit d’être dans la rue, sur la route.
C’est une chouette idée de rouler dans les villages, sur les vieilles routes, je n’aime pas spécialement être sur les voies rapides. C’est parfois sûr et parfois non mais je préfère être sur les petites routes. Quand je suis dans la nature, dans le désert, dans les montagnes, rien ne te dérange, il y a juste moi & la nature. Même s’il n’y a pas d’infrastructures, je me sens généralement à l’aise pour circuler en Iran. Je ne peux pas me dire ok toutes les choses doivent être prêtes pour moi et après j’y vais, non, je dois faire cela. Peut-être que les personnes qui font les routes peuvent se dire qu’il commence à y avoir beaucoup de cyclistes donc faisons quelque-chose. En attendant nous, les cyclistes, nous ne pouvons pas attendre !
Y-a-t-il des aides spéciales pour les cyclistes en Iran ? Par exemple, la communauté « Warm showers » est-elle présente ?
Oui tout à fait ! Nous avons le site communautaire des « Warm showers » en Iran dont je suis membre. J’ai reçu chez moi beaucoup de cyclistes. Récemment j’ai eu un message de 2 français parce que mon profil est en français et en anglais donc beaucoup de français viennent sur mon profil. Nous avons un groupe sur Télégram (application mobile de chat), Télégram est très utilisé en Iran. Nous sommes plus de 400 cyclistes dans ce groupe et nous nous rencontrons avant d’aller en cyclo-trip, nous nous envoyons des messages pour expliquer notre projet, et demander si quelqu’un peut nous héberger et il y a beaucoup de réponses : « Oui, oui, viens tu es la bienvenue ». Les Iraniens adorent recevoir. Quand j’étais à Ardabil, il y avait un cycliste qui vivait avec sa famille, son nom est Tohid, et il était très gentil, pendant 3 nuits j’ai été leur invité et ils ont préparé tout pour moi, ils ne m’ont pas laissé acheter quoi que ce soit ; j’ai juste donné un livre à leur fille, car sinon ils ne me laissaient pas acheter, ils me disaient que j’étais leur invité. Et souvent quand tu vas dans un village ou une ville, les gens viennent vers toi et te demandent gentiment qu’est-ce que tu fais ici, et ils t’invitent chez eux, et tu peux leur faire confiance et y aller ; c’est un autre type de « Warm showers »
(warmshowers.org, système communautaire d’hébergement gratuit, seulement pour les cyclistes) Mon ami est chargé de la traduction en Perse sur le site, son nom est Farid.
Les Iraniens sont réputés pour leur hospitalité.
Il est assez facile de trouver un endroit où dormir dans les villages. La Fédération de cyclisme d’Iran peut nous procurer une lettre nous présentant en tant que cycliste, j’ai essayé cela et ça fonctionne bien.
Sinon pour ceux qui aiment camper, ils peuvent demander à la police où sont les endroits sûrs.
J’ai voyagé de Bouchehr à Bandar Abbas, sur la côte sur Golfe Persique, la route était étroite et il y avait de grosses voitures, donc j’ai attendu car ma sécurité est plus importante et j’ai fait du stop auprès de camions. Ça peut arriver !
Quel est ton meilleur souvenir en Iran durant un de tes voyages à vélo ? Et quel est ton souvenir le plus fou ?
La montagne est toujours challengeante et excitante. Le plus fou a été dans l’Arborz (une des plus importantes chaînes montagneuses en Iran) où j’allais pour la 1ère fois, sur la route Séhézar, pour aller à Tonekabon, une petite ville, près de la mer Caspienne. Je descendais la côte et c’était boueux et pluvieux, j’avais plein de traces de boue. C’était vraiment fou car je suis descendue à toute allure et la boue a éclaboussé mon visage !
J’adore le Balouchistan et la côte du Golfe Persique et de la mer d’Oman, les gens sont gentils, accueillants, ça me donne un bon feeling. Beaucoup de gens oublient que nous avons une autre partie dans le Sistan Balouchistan qui est magnifique, certaines personnes sont très pauvres mais ils sont gentils et ils te donnent tout ce qu’ils mangent.
Mon endroit favori est la montagne. Je voudrais aller dans la chaîne montagneuse du Zagros, c’est très joli, et je suis sûr que c’est challengeant pour moi. J’aime le Kurdistan, Hamadan, Ilam. J’ai un projet pour Ilam, c’est un très bel endroit, très ancien. En vélo, tu as assez de temps, tu n’es pas pressée et si j’ai assez de temps, oui complètement je vais à la rencontre des gens et j’ai toujours un petit cadeau avec moi pour donner aux enfants ou donner aux gens qui m’accueillent parfois. J’aime avoir du papier sur moi où je dessine et donne le dessin en cadeau.
Quelle est la position du cyclisme en Iran ? Les femmes pratiquent-elles de plus en plus ?
Oui ! C’est très encourageant, et je l’espère encore plus. Récemment j’ai beaucoup de demandes de la part de mes amies filles qui veulent que nous partions en voyage à vélo ensemble et me demandent des conseils, elles s’intéressent. Elles veulent acheter un vélo et partir voyager.
Le mot de la fin de la part d’Ensieh : « Venez en Iran, c’est un magnifique endroit, avec une grande histoire et culture, une belle nature, des gens gentils et accueillants ! »
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